Près de six ans après l'austère L'Imprudence, disque que j'avais eu personnellement un peu de mal à appréhender, Bashung revient avec un nouvel album beaucoup plus pop. Renonçant à donner une suite à L'Imprudence, Bashung a, comme il dit, "fait la paix avec la pop music" et il a "eu à nouveau envie de mélodies, de chansons simples" et ceci, pour notre plus grand plaisir. Dès la première écoute, on est totalement séduit. Pour ma part, il est très peu courant que j'aime à ce point un album après un unique passage, mais là, aucun doute... Chaque nouvelle écoute ne fait que renforcer ce sentiment qu'Alain Bashung vient de nous offrir un album magnifique et signe là un chef d'oeuvre, un disque à ranger à côté de Fantaisie Militaire, Chatterton ou Novice.

Et pourtant, sur ce Bleu Pétrole (quel beau titre en plus), Bashung s'efface derrière ses collaborateurs, ne co-signant que trois morceaux, pour se consacrer à l'interprétation de chansons taillées pour lui. Pari réussi, sa voix n'a jamais été aussi belle, véritablement proche d'un certain état de grâce. La rencontre avec Gaëtan Roussel a, semble-t-il, été déterminante. Le chanteur de Louise Attaque a mieux que quiconque compris l'esprit Bashung et a su l'incarner à merveille. Signant six titres (dont l'excellent et très politique premier single, "Résidents de la République") sur neuf, en cosignant un autre et produisant également l'album avec Mark Plati (David Bowie, Rita Mitsouko, Louise Attaque), Gaëtan Roussel peut être considéré comme l'un des principaux artisans de la réussite de Bleu Pétrole. Quand Bashung chante "Je T'ai Manqué", "Hier à Sousse" ou "Le secret Des Banquises", c'est du pur Bashung ! Les paroles cryptiques des chansons de Bashung - mais pas toujours aussi abstraites qu'elles en ont l'air - c'est une marque de fabrique depuis le début quasiment et Gaëtan Roussel a parfaitement assuré la filiation.

Autre belle rencontre, celle avec Gérard Manset... Cette collaboration me fait d'autant plus plaisir que j'ai, depuis fort longtemps, un faible pour Manset. Là, c'est Bashung qui se coule dans l'univers Manset pour chanter ce grandiose "Comme Un Lego", magnifié par des arrangements dépouillés. Ces neuf minutes magiques sont un pur régal et je ne me lasse pas de les réécouter encore et encore, subjuguée de la fusion totalement réussie entre ces deux grands artistes. On retrouve encore la patte de Manset sur deux très beaux titres, "Vénus" (co-signé avec Arman Méliès) qui ne déparerait pas sur Fantaisie Militaire et "Je Tuerai La Pianiste", titre étrange, violent et rock sur une musique de Gaëtan Roussel et Bashung.

On se doit aussi de souligner cette superbe chanson d'amour qu'est "Tant De Nuits" que l'on doit à Joseph d'Anvers (encore quelqu'un que j'adore) sur une musique d'Arman Méliès : que de poésie dans ce titre calme et quelle belle déclaration que ce "Mon ange je t'ai haï" qui donne des frissons ! Ce morceau est parfaitement servi par sa musique avec de très belles guitares et des cordes de toute beauté. Il convient d'ailleurs d'ajouter qu'il y a beaucoup de guitares sur Bleu Pétrole, celles de Gaëtan Roussel et Mark Plati, bien sûr, mais aussi celle de Marc Ribot, collaborateur de longue date, celle de l'excellent M. Ward, celles de Gerry Leonard ou d'Arman Méliès... Que du beau monde ! Les cordes sont également très présentes (sept titres sur onze) et les arrangements, superbes, sont de Mark Plati, décidément indispensable.

L'album s'achève sur une reprise de Gérard Manset. Hommage à une collaboration réussie, sorte de remerciement pour ce magistral "Comme Un Lego" que Manset aurait livré clef en mains, Bashung interprète "Il Voyage En Solitaire", premier gros succès de Manset en 1975. Que dire encore ? Plutôt que de longs discours, laissons là les mots pour écouter cet album intense : un chef d'oeuvre, vous dis-je !