2010, comme chaque année écoulée, a été riche en évènements musicaux de toutes sortes. Chez
www.01audio-video.com, nous ne retiendrons pas les bonnes
ventes de disques de Mylène Farmer, Christophe Maé, Yannick Noah ou Nolwenn Leroy… Nous ne retiendrons pas non plus les cartons des spectacles
de M ou de Mozart l'Opera Rock. Non, nous préférons, et de loin, nous réjouir de ce que le label Square Dogs a (pour le moment)
surmonté ses difficultés et pu sortir le nouvel album de
Carp
ou réaliser celui de Landscape qui arrive très bientôt, de ce que le collectif
Kütu Folk multiplie les projets passionnants avec
la sortie du troisième album de
The Delano Orchestra,
le nouveau Leopold Skin et l'ouverture vers des groupes étrangers comme
SoSo,
Hospital Ships ou
Evening Hymns.
Nous avons applaudi le nouveau projet de Jean-Sébastien Nouveau,
Les Marquises,
qui a sorti, Lost Lost Lost, un très bel album. Nous avons découvert avec bonheur le rock énergique de
The Lanskies,
un groupe qui mériterait vraiment de devenir grand... Comme vous le voyez, nos coups de cœur musicaux n'ont pas grand-chose à voir avec la réussite des poids lourds du secteur.
Nous assumons pleinement ces choix et les revendiquons, certains qu'il vaut mieux défendre ce que l'on aime vraiment plutôt que de faire "du chiffre" en vendant
son âme...
Au moment de réaliser cette interview que nous voulions faire depuis fort longtemps (mais les journées n'ont hélas que 24 heures), nous sommes particulièrement
heureux de voir, qu'enfin, les gros medias traditionnels découvrent qu'il y a autre chose à Clermont-Ferrand que Michelin ou, si l'on veut rester dans la musique,
Cocoon, et tournent leurs oreilles vers les artistes Kütu Folk... Libération a inclus le dernier Delano Orchestra dans son top
album 2010 et lui consacre également sa page Culture du 5 Janvier 2011 avec un article intitulé "The Delano Orchestra, démons d'Auvergne", les Inrocks parlent
de Leopold Skin dans le numéro best of 2010 et I See Mountains se voit gratifié d'un 8.5/10 par Noise dans son numéro de Janvier/Février...
Voir le talent d'artistes que l'on défend depuis (presque) toujours enfin reconnu par des journaux qui ont pignon sur rue fait sacrément plaisir. Et, très modestement,
on veut croire que les sites web et autres blogs qui se font l'écho de tous ces groupes, y sont finalement un peu pour quelque chose... Mais, ceci est une autre
histoire et passons donc à notre interview. C'est Alexandre Rochon, créateur de Kütu Folk et leader de The Delano Orchestra,
qui répond à nos questions...
01audio-video : Qu'est-ce qui vous a poussé à créer le label Kütu Folk ? Désir de maîtriser toute la chaîne
de la création musicale sans se voir imposer quoi que ce soit ? Envie de promouvoir une certaine idée de la musique ? Nécessité parce que vous ne trouviez pas
de label ?
Alex : Kütu Folk Records est né un peu par hasard. Le label est le fruit de belles rencontres, d'une
envie commune de privilégier la sincérité artistique. Et puis il y a eu l'idée des pochettes cousues, l'envie de sortir un album, puis d'autres. Nous nous sommes
assez vite rendus compte qu'aucun autre label ne pourrait nous offrir tant d'indépendance.
01audio-video : C'est quoi au juste Kütu Folk ? Expliquez-nous ce que recouvre ce concept puisque
Kütu Folk est plus qu'un label à mon sens.
Alex : C'est étrange, pour nous c'est simplement un label de musique, avec une ligne artistique bien définie et
homogène, de beaux objets, une implication de l'artiste qui va au-delà de la musique. C'est le rôle d'un label selon nous, de faire découvrir des artistes,
d'installer une certaine confiance avec le public, c'est le rôle que continue à jouer certains grands labels pour nous. Il est évident que l'image des maisons de
disque a beaucoup été ternie par une prolifération d'entreprises sans aucune direction artistique, ayant pour unique but de vendre du disque. Le projet même de
Kütu Folk Records (les pochettes cousues main) est de toute façon tellement peu rentable, que nous ne pouvions nous écarter de nos principes.
01audio-video : Au quotidien, Kütu Folk, c'est toi tout seul ou vous êtes plusieurs ?
Alex : Nous sommes une équipe d'amis, nous séparons nos fonctions, deux d'entre nous se consacrent au projet à plein temps.
01audio-video : Comment un groupe intègre-t-il la sphère Kütu Folk ? Il vient vous voir ? C'est vous qui
le démarchez ? C'est forcément quelqu'un que vous connaissez déjà bien ? Comment ça se passe ?
Alex : Les quatre fondateurs du label forment une direction artistique. Nous écoutons les disques que nous
recevons, faisons part de nos découvertes. Chacun d'entre nous est spécialiste d'une scène ou d'un mouvement musical. Et nos choix se trouvent à la croisée
de ceux-ci.
01audio-video : Pourquoi un groupe comme Garciaphone, dont le leader (Olivier Perez) est très proche de certains
d'entre vous, ne fait-il pas partie de Kütu Folk ?
Alex : Olivier n'a pas encore sorti d'album. Le premier album de Garciaphone est en préparation et ce que j'ai
pu en écouter est extrêmement prometteur. Il n'est pas impossible que le disque sorte chez Kütu Folk Records. L'important pour nous reste
que le disque soit bien défendu et qu'Olivier prenne le temps de choisir le label qui lui conviendra le mieux.
01audio-video : Et pour les projets étrangers que vous avez récemment intégrés, SoSo,
Hospital Ships ou Evening Hymns, c'est quoi l'idée ? S'internationaliser ? Trouver d'autres relais pour Kütu Folk
tout en restant dans la même veine musicale ? Tout simplement le hasard de rencontres ?
Alex : Après la sortie simultanée des albums des personnes étant à l'origine du label (St Augustine,
The Delano Orchestra, Pastry Case, Leopold Skin), nous voulions absolument nous écarter de notre scène locale, très prolifique. Nous allons continuer à
fonctionner selon des coups de cœur, sans nous soucier des frontières.
01audio-video : L'idée de ces chouettes pochettes cousues, ça vient d'où ?
Alex : Nous voulions sortir l'album de "20206", notre premier projet, dans une édition très limitée.
Nous avions dessiné la pochette, avions eu l'idée de la coudre. Au départ, nous en faisions une vingtaine. Aujourd'hui, je crois que nous avons largement
dépassé les dix mille pochettes cousues main. Il ne faut pas compter, ça fait peur !
01audio-video : Au départ, si j'ai bien compris, c'est votre mère qui se chargeait de coudre les pochettes.
Maintenant, vous organisez des "ateliers" où des bénévoles viennent vous filer un coup de main. A terme, ça risque de devenir difficilement gérable, non ?
Vous pensez à revenir à des pochettes classiques ou bien c'est une spécificité à laquelle vous tenez absolument ?
Alex : Hey ! Tu es bien informée ! Nous avons investi dans plusieurs machines à coudre, j'en couds une grande
partie, ma mère continue à nous aider. Mais j'ai dû faire appel à des bénévoles pour plier, emballer les pochettes. La chaîne de production est assez
complexe, tout est fait à la main, c'est long ! Il faut coller les pochettes, les amener à la coupe, les coudre, les plier, faire le remplissage etc. Bref,
non, nous ne reviendrons jamais sur cette idée folle, elle représente tout le soin que nos artistes portent aux objets qu'ils distribuent.
01audio-video : Ces pochettes ont encore une autre originalité… Dans chacune, il y a une reproduction d'une
œuvre du FRAC (Fonds Régional d'Art Contemporain) Auvergne grâce à un partenariat que vous avez avec eux. Vous pouvez nous en dire plus ?
Alex : L'idée est de renforcer les liens qui existent entre la musique, le graphisme et l'art en général.
Nous imposons que chaque artiste dessine intégralement sa pochette. Et nous proposons à ceux qui le souhaitent de choisir une œuvre dans la collection du
FRAC Auvergne, et que celle-ci accompagne ou illustre le livret. Les croisements sont souvent très intéressants et l'homogénéité entre l'artwork et l'œuvre
choisie est parfois troublante.
01audio-video : L'idée, c'est de voir le disque comme un bel ouvrage artisanal et non comme un objet plastique
sans âme et formaté à la chaîne, non ?
Alex : Oui, je pense d'ailleurs que tout le monde commence à préférer ça. La crise du disque vient essentiellement
de ce formatage. Tous les disques se ressemblaient tellement. En chanson française, il fallait une photo en gros plan du visage de l'artiste. Il est certain que
nous sommes arrivés trop tard. Nous allons continuer à privilégier les objets, à mettre en valeur la musique.
01audio-video : J'imagine qu'il y a de grosses disparités suivant les groupes mais un disque Kütu Folk
se vend à combien d'exemplaires en moyenne ?
Alex : Il est difficile d'en parler puisque nos anciennes références continuent à se vendre. Notre moyenne doit se
situer pas tout à fait à mille exemplaires.
01audio-video : Un article dans Libé (The Delano Orchestra), les Inrocks (Leopold Skin)
ou Magic (Evening Hymns, 3ème du Top album 2010), c'est vendeur ? Est-ce que dans les jours qui suivent ce type d'évènements,
vous observez un changement de modèle ?
Alex : Nous ne pouvons pas vraiment faire le lien entre les articles et les ventes de disques. Les articles, lorsqu'ils
tombent nous encouragent vraiment, ils sont une autre forme de rétribution pour le travail largement bénévole que nous faisons.
01audio-video : Ça vous fait plaisir, j'imagine, que de tels médias parlent de vous mais est-ce que c'est de nature à
modifier votre approche des choses ?
Alex : Non, pas vraiment. Et si nous la modifiions, je ne suis pas certain qu'ils continueraient à s'intéresser à nous.
01audio-video : Que des blogs perso et des sites web non pro parlent de Kütu Folk, pour vous c'est important ?
Quel est votre avis sur l'influence - ou l'importance - d'internet dans la vie d'un musicien actuellement ?
Alex : Nous découvrons nous-mêmes tellement de choses via les blogs et les sites non pro, la démocratisation de la musique
par internet a l'avantage de permettre à beaucoup d'indés d'accéder à une certaine reconnaissance. Le risque est aussi celui d'un formatage encore plus massif.
Quoiqu'il en soit, la démarche des bloggeurs consistant à toujours rechercher la perle rare reste vraiment bénéfique.
01audio-video : En dehors de Kütu Folk, j'imagine que vous avez tous, vous, Damien Fahnauer (a.k.a Leopold Skin),
François-Régis Croisier (l'homme derrière St Augustine), Bertrand Blanchard (Pastry Case) et tous ceux que je ne connais pas, des boulots qui vous permettent de
vivre et aussi de faire tourner le label, non ? Dans l'ensemble, vous avez des professions liées à la musique ou pas du tout ?
Alex : Damien est étudiant, François est professeur des écoles, Bertrand et moi nous consacrons essentiellement au développement du label.
01audio-video : Pour boucler le budget du label, vous avez des aides (de la région par exemple), ou ce sont vos finances
perso qui trinquent ?
Alex : Les politiques culturelles menées par notre ville et notre région, nous ont réellement soutenus. Nous bénéficions
vraiment d'un climat propice au développement de projets.
01audio-video : Sur le site de Kütu Folk, vous offrez de nombreux bonus en téléchargement gratuit.
Vous estimez que c'est indispensable à l'époque actuelle pour assurer sa promo ou c'est un acte purement gratuit, genre, ça, on s'est bien éclaté à le faire mais
ça va être difficile à vendre donc autant l'offrir à nos fans ?
Alex : Nous estimons simplement que nous devons offrir, pour faire découvrir. C'est aussi un souhait des artistes.
Il y a des morceaux qui ne trouvent pas leur place dans des albums, des inédits etc...
01audio-video : Quelles sont les orientations futures de Kütu Folk ? Vous avez une ligne de conduite,
une feuille de route ou bien, vous gérez au fil de l'eau ?
Alex : Nous avons la volonté de sortir de plus en plus de projets qui vont au-delà de la musique. Je pressens que nous
allons nous rapprocher du livre, tout en restant attaché à l'album, à la force, la sincérité et l'histoire que peut dégager un album.
01audio-video : Y-a-t-il des groupes que vous aimeriez voir rejoindre Kütu Folk ?
Alex : Oui ! Tous ceux qui nous rejoindrons très prochainement... Je peux difficilement en dire plus,
le hasard joue beaucoup dans la découverte, les envies de signature.
01audio-video : Merci beaucoup pour toutes ces réponses qui, je l'espère, donneront envie à ceux de
nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore d'aller faire un tour sur votre site, d'écouter les groupes Kütu Folk et d'acheter
leurs disques... Nous reviendrons bientôt vous poser d'autres questions mais pour interroger le musicien, cette fois.
Alex : Merci à toi et avec plaisir pour une prochaine fois... J'ai été très surpris par ta connaissance
du label et de notre entourage, chapeau bas.