Keziah Jones, bluesman globe-trotter et cosmopolite, inventeur de son propre style, le blufunk
(mélange de blues, de soul et de funk), revient titiller nos oreilles. Cinq ans se sont écoulés depuis
Black Orpheus, album qui lui avait permis de renouer avec le succès. Si Black Orpheus était un
hommage à Fela Kuti, maître de l'afrobeat, véritable père spirituel, nigérian comme
lui et également originaire de l'ethnie Yoruba, Keziah Jones estime cependant que cet album n'était pas suffisamment
produit. Il a donc eu envie, pour le disque suivant, ce Nigerian Wood qu'il considère être le second volet
de Black Orpheus, de davantage de sophistication. C'est ainsi qu'il a fait appel à Karriem Riggins,
percussionniste de jazz et producteur de hip hop (Erykah Badu, The Roots, Common...). La mission de Riggins était
double : traduire en percussions le jeu de guitare si particulier de Keziah Jones et rendre rock et jazz le son de Fela.
Le résultat ? Un album plus pop que le très sec Black Orpheus, aux chansons plus mélodiques, soutenues
par des basses et des percussions qui claquent.
Les douze plages de Nigerian Wood naviguent entre afro funk et ballades soul. C'est "Nigerian Wood" qui ouvre
le bal. Titre plein d'énergie, clin d'oeil au "Norvegian Wood" des Beatles, ce morceau vous entre
immédiatement dans la tête pour ne plus vous lâcher ensuite avec son refrain facile à retenir et son rythme tribal.
C'est là que l'on mesure l'impact de Karriem Riggins : la rythmique est impeccable. Ecoutez cette basse ! Un vrai
régal ! Pour rester dans la veine afro funk, citons aussi "African Android", morceau sur lequel Keziah Jones
s'aventure sur les terres de Prince ou encore "Lagos vs New York", où l'enfant de Lagos devenu citoyen
New Yorkais crie son amour à la ville de ses racines. Là encore, la rythmique est remarquable, renforcée, sur ces deux
titres, par une section cuivres.
Les autres morceaux sont beaucoup plus soul ("Long Distance Love", "Beautifulblackbutterfly", tous deux
superbes, "My Brother" mélancolique et dépouillé, juste porté par un trio à cordes) même si parfois, cette soul
reste indissociable du funk ("My Kinda Girl", l'incontournable single, "Pimpin'", "Blue is the Mind" - à
l'orchestration vraiment sublime - ou "In Love Forever"). Sur ce genre de titres, la voix souple et caressante de
Keziah Jones fait évidemment des merveilles. Le cas de "1973 (Jokers Reparations)" est à placer
à part. Eminemment politique ce titre évoque la violence militaire qui a fait basculer son pays dans la dictature
et où l'inflation du naira a plongé le Nigeria dans la misère. Outre cet aspect important, ce titre est musicalement
original. Psychédélique dans l'âme, il mêle allègrement choeurs ethniques, voix aériennes, discours politique
(façon dictateur sur fond de kalachnikov), guitare acoustique, basse et afrobeat. C'est pour moi l'un des meilleurs
morceaux de l'album aux côtés de "Blue is the Mind" et "Long Distance Love".
A noter enfin un livret au design soigné et une pochette superbe. La photo est signée Mondino
et elle illustre parfaitement ce qu'est Keziah Jones : un homme écartelé entre sa vie d'aujourd'hui
et ses racines, un dandy moderne et élégant tout aussi à l'aise dans une rue de Paris, Londres ou New York qu'assis
sur un vieil ampli devant un piano déglingué...
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