Chaque nouvel album (ou presque) de Robert Wyatt est un enchantement. For The Ghosts Within ne faillit pas à la règle... Certes Wyatt n'est pas tout
seul sur celui-ci. Il s'est entouré du saxophoniste Israélien Gilad Atzmon, virtuose maniant, pour For The Ghosts Within, saxo alto et soprano,
clarinette et clarinette basse, accordéon ou flûte de berger Palestinien, et de la violoniste Anglaise Ros Stephen, aux manettes ici du Sigamos String Quartet.
Ces trois-là se sont si bien entendu que For The Ghosts Within est signé Wyatt/Atzmon/Stephen, prouvant ainsi qu'il est le fruit d'un véritable travail collectif. Mêlant
compositions originales signées Robert Wyatt et standards du jazz tels que "Round Midnight" (Thelonious Monk), "Lush Life" (popularisé par Nat King Cole ou John Coltrane),
"What’s New" (chanté entre autres par Ella Fitzgerald, Frank Sinatra, Linda Ronstadt), "What A Wonderful World" (Louis Armstrong) ou "In a Sentimental Mood" (Duke Ellington),
joliment arrangés par Stephen et Atzmon, For The Ghosts Within est un album de jazz cool, ce jazz qu'a toujours affectionné Wyatt.
L'album s'ouvre sur "Laura", un standard absolu dont les paroles ont été écrites au milieu des années 1940 par Johnny Mercer, alors l'un des paroliers préférés d'Hollywood,
pour le film du même nom. Ce titre a souvent été chanté par des crooners comme Sinatra ou Nat King Cole. Robert Wyatt, de sa voix si particulière au falsetto
reconnaissable entre mille, choisit une approche à la Chet Baker, apportant au titre sa fragilité, ses fêlures mais aussi une certaine sérénité. C'est magnifiquement orchestré,
les cordes de Ros Stephen habillent à merveille la voix de Wyatt et le jeu de Gilad Atzmon renvoie inévitablement à celui de Charlie Parker. On est immédiatement sous le charme...
Un charme que des chansons comme "Lullaby For Irene", "Maryan" ou "The Ghosts Within" ne sauraient rompre. Ce dernier n'est d'ailleurs pas chanté par Wyatt. Pour accroître la
portée éminemment politique du morceau qui donne son nom à l'album, Robert Wyatt a cèdé sa place à Tali Atzmon, la femme de Gilad Atzmon. Le thème abordé dans la chanson est
celui du déplacement des populations Palestiniennes d'Israël et le droit au retour des exilés Palestiniens. Qui mieux que Gilad Atzmon, militant antisioniste né en Israël mais
ayant fui sa patrie pour vivre à Londres, et Robert Wyatt, jamais à court de mots pour défendre les causes qui lui tiennent à coeur, pouvaient prendre ces questions à bras le
corps pour en faire un titre sensible et d'une grande beauté. Les sonorités empruntent clairement à la musique orientale et le saxo d'Atzmon finit par ressembler à l'appel à la
prière d'un Muezzin... Assurément l'un des sommets de For The Ghosts Within ! On est plus circonspect quant à la relecture de "Dondestan" (1991) en un "Where Are They Now"
rappé par Abboud Hashem (du groupe de Hip Hop Palestinien Stormtrap) et Shadia Mansour (reine du Hip Hop Arabe) qui, s'il sert le propos politique, semble un peu déplacé,
musicalement, au milieu de ces onze plages...
On peut dire que le trio Wyatt/Atzmon/Stephen rend un très bel hommage au jazz des années 40 à 50. Des immenses standards repris sur For The Ghosts Within, parfois usés
juqu'à la corde tant ils ont pu être galvaudés, il réussit à faire jaillir encore des étincelles. Tous ont ce petit plus qui apporte quelque chose de nouveau. Cette fragilité
dont on a déjà parlé sur "Laura"... La splendide ligne de trompette sur "Lush Life"... Pour "Round Midnight", le classique piano imaginé par Thelonious Monk est remplacé par un
très bel arrangement de cordes et Robert Wyatt, plutôt que de chanter, en siffle doucement la mélodie. Tout comme il choisit de fredonner sur "In A Sentimental Mood"...
Seul, peut-être, "What A Wonderful World" est quasi intouché. On peut juste noter l'ironie de refermer l'album sur un tel titre pour un homme cloué dans un fauteuil depuis si
longtemps, un homme pessimiste et parfois sujet à la dépression.
En résumé, un bien bel album dont on n'est pas prêt de se lasser...
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